Sister Anne Béatrice Faye CIC | Sénégal
“Mon souhait pour les femmes de l'Église catholique est de lever l’ambiguïté de leur possibilité d’exercer ou non un ministère ecclésial et de partager les pouvoirs dans la mission. Que le pas inédit pour l'Eglise catholique que le Pape François vient de franchir en nommant Sœur Nathalie Becquart, sous-secrétaire du Synode des Evêques ne s’arrête pas là. En devenant ainsi le numéro deux de ce cénacle très fermé et la première à obtenir le droit de vote au sein de cette assemblée chargée d'étudier les grandes questions doctrinales de l'Eglise catholique depuis 1965 cette religieuse est l’un des nouveaux visages d’une lente féminisation de la Curie romaine. Mon dernier souhait est que les femmes renoncent à leurs peurs, à leurs soumissions, ainsi qu’à leur cléricalisme latent et inconscient.
Je ne reste plus silencieux sur les dérives du pouvoir et du cléricalisme dans l’Eglise. D’abord, l’Église a aujourd’hui très peu de pouvoir. Quel évêque se lève le matin en se disant : «Quel bonheur d’avoir du pouvoir» ? Cela étant, que des femmes soient en position de leadership n’est plus une question dans la société, mais force est de constater que cela en reste une dans l’Église. Pourquoi ? Parce que cette question ne se limite pas à de la gestion, de l’organisation mais touche à la représentation symbolique, au sacré. Les femmes peuvent avoir des responsabilités importantes dans l’Église aujourd’hui. La preuve, elles intègrent les conseils épiscopaux, reçoivent des lettres de mission, deviennent économes diocésaines, accèdent à certains ordres mineurs… Mais le blocage arrive dès que l’on s’approche du sacré, que l’on évoque des femmes prêtres, évêques, cardinales. Peut-être est-ce seulement un manque d’habitude ? Ou bien est-ce parce que cela nie une complémentarité à préserver sur le plan symbolique ?
Quand le pouvoir est exercé par des hommes dans l’Église, on en parle toujours comme d’un service. Mais quand des femmes demandent à servir, on leur dit : « Vous voulez du pouvoir. » Est-il bon que toutes les décisions importantes demeurent dans les seules mains d’hommes célibataires, par ailleurs souvent généreux et dévoués ? En se référant au message évangélique, les structures de l’Église ne devraient-elles pas se libérer des contraintes de la domination et du monopole des hommes et du cléricalisme? L’enjeu n’est pas de « cléricaliser » les femmes, mais de décléricaliser l’Église. Autrement dit, il s’agit de lui faire retrouver son souffle apostolique. L’Eglise catholique est en train de faire face à une crise. Une nouvelle génération de catholiques s'interroge sur sa hiérarchie et sur sa réponse à un monde en mutation et à des problèmes émergents tels que la pédophilie, les abus sexuels et de pouvoir.
Je ne reste plus silencieux sur la nécessité d’avoir le courage de la critique et de l’autocritique. Dans notre Eglise, la critique n’est pas bien vue. Il faut souvent adopter le langage « correct » même si nous n’y croyons pas, ou plus. Le temps est venu d’abandonner cette habitude néfaste qui consiste à protéger toujours l’Eglise, même au prix de la vérité ou de la morale. Ce fut trop longtemps le cas dans le drame de la pédophilie, ou des dérives financières. Jésus, dans toute sa miséricorde, était extrêmement critique avec ce qu’il appelait l’hypocrisie.
Je ne reste plus silencieux sur la nécessité pour nous religieuses de donner priorité à la formation qui va au-delà du spécifiquement religieux. Les questions socio-politiques doivent être repensées également par nous : droits de la personne, démocratie, justice, respect des différences. Le temps est venu d’une vraie prise de parole polyvalente des femmes consacrées dans l’espace public au sens large et noble de cette expression !
Je ne reste plus silencieux sur les questions environnementales car, les intuitions de l’éco-féminisme, qui relie le féminin au Cosmos, incombent aux femmes aujourd’hui. Ensemble, sous l’inspiration féminine, elles peuvent sauver la Création.
Je partage ça parce qu’on ne peut plus continuer à justifier la marginalisation et l’invisibilité des femmes dans l’Eglise par la tradition, lorsqu’on sait que le mouvement de haut en bas est toujours très puissant dans cette Institution. L’Église respirerait mieux avec ses deux « poumons », le masculin et le féminin. De plus, je pense qu’elle serait mieux gouvernée si la dimension féminine partagée tant par l’homme que la femme y était davantage écoutée, si les femmes y avaient davantage la parole, si elles prenaient davantage part aux décisions, quitte à se tromper parfois, elles aussi. D’ailleurs, le pape François insiste sur la « nécessité d’écouter », y compris les points de vue minoritaires lors des assemblées synodales où se jouent les grands débats de l’Église aujourd’hui.”